Savez-vous que la Gare du Nord est la gare la plus fréquentée d’Europe, que Paris compte aussi la seconde gare d’Europe avec Saint-Lazare, ou que le RER A est connu pour être la ligne ferroviaire la plus chargée du monde ? Savez-vous que le Grand Paris Express, projet visant à creuser 200 km de tunnels autour de la capitale, mobilisera davantage de tunneliers que n’en compte le reste de l’Europe ?
Loin de constituer des motifs de fierté nationale, ces palmarès pourraient être analysés comme des révélateurs des anomalies du système de mobilité francilien, et alerter le citoyen des absurdités de notre aménagement métropolitain. Arguer que la fréquentation de la gare va croître de 700 000 à 900 000 personnes par jour d’ici 2030 ne sert-il pas d’argument « massue » pour légitimer un projet ficelé et rendu non-négociable faute de temps, imminence des Jeux Olympiques oblige ?
Croissance inexorable… ou saturation organisée ?
Partir du postulat que la croissance de la Gare du Nord est inévitable empêche pourtant de s’interroger sur les ressorts structurels d’une telle dynamique. Or celle-ci résulte avant tout d’une succession de choix (ou de non-choix) politiques et techniques en matière d’aménagements et d’infrastructures.
La géographie du territoire nord francilien était-elle compatible avec la densification continue de la Plaine Saint-Denis autour du Stade de France, l’extension sans fin de la plateforme aéroportuaire de Roissy CDG, l’implantation des sites olympiques, l’urbanisation massive du triangle de Gonesse pour Europa City ?
La faiblesse des réseaux de transport n’a-t-elle pas été aggravée plus que corrigée au cours des dernières décennies par le maintien de lignes de RER B et D et de métro 13 bridées dans Paris, ou l’engagement de projets (métro 14, EOLE, CDG Express et Grand Paris Express) dispendieux au regard des bénéfices annoncés, tant en termes de maillage que d’optimisation de la capacité offerte ?
L’urgence pour la Gare du Nord est-elle bien de faire passer toujours plus de voyageurs dans ses halls, ses couloirs, ses escaliers… ses commerces ? L’époque de sobriété qui s’annonce devrait plutôt conduire à privilégier les actions minimisant les moyens à engager mais maximisant l’utilité collective, à savoir parvenir à un aménagement mieux équilibré et plus soutenable de la métropole.
Voici trois axes de réflexion susceptibles de réorienter le projet en ce sens.
Comment éviter qu’un si grand nombre de Franciliens soit contraint de transiter chaque jour par la Gare du Nord ?
Plutôt que de concevoir un projet EOLE doublant les RER A et B, ou un CDG Express promis au même succès qu’Orlyval, il aurait été imaginable de dévier le RER B par la Défense, et de transformer le sud de la ligne B en un métro rapide.
Plutôt que de contraindre tous les habitants de Seine-St-Denis à transiter par la Gare du Nord, il aurait été judicieux de créer des pôles de correspondance en amont, en prolongeant les radiales de métro jusqu’aux gares du RER B et D, et ce sans attendre la pharaonique rocade du Grand Paris Express. D’autant qu’il ne manque parfois que quelques centaines de mètres pour connecter la ligne 7 au Bourget, la ligne 12 à La Courneuve-Aubervilliers, la ligne 4 au Stade de France.
Ces prolongements imaginés pour certains il y a un demi-siècle sont tous au point-mort. Pourtant seule une approche « réseau » limitera la surconcentration actuelle.
Comment éviter que les usagers du TGV transitent par la Gare du Nord même lorsqu’ils n’ont pas pour origine ou destination le cœur de Paris ?
Plutôt que de vouloir transformer la Gare du Nord en « St-Pancras à la française », ne fallait-il pas imaginer faire arriver les Eurostar et Thalys directement à la Gare St-Lazare, véritable cœur économique de Paris, voire à la Défense ou à la Porte Maillot comme le suggérait l’IAU il y a des années ? En revanche, le choix du terminus de CDG Express à la Gare de l’Est continue d’intriguer tous les observateurs.
Plutôt que d’obliger tous les voyageurs d’Europe à transiter par les gares terminus parisiennes pour s’engouffrer péniblement dans les escaliers du métro afin de poursuivre leur périple, il serait temps de mettre fin à cette anomalie et de miser enfin sur les liaisons « intersecteurs » traversant l’agglomération parisienne et desservant des gares traversantes bien connectées. Tous les grands « hubs » ferroviaires en Europe ont adopté une telle stratégie de bon sens, mais la France continue de persister dans une exception anachronique.
On voit par ces exemples que décharger les flux de la Gare du Nord pourrait se régler par des actions ne touchant pas du tout à la configuration même de la gare.
Comment offrir plus de fluidité aux usagers de la Gare du Nord et plus de confort aux riverains sans altérer ce patrimoine exceptionnel ?
Plutôt que de détruire la halle Transilien datant à peine de 2001 pour laisser place à un vaste centre commercial bâti sur l’actuelle gare routière, puis de reconstruire une gare routière souterraine mal-pratique tant pour les passagers que pour les exploitants, il serait utile de commencer par libérer le parvis des voitures, des taxis et des obstacles qui s’y sont accumulés, tels la « Maison Fond », œuvre posée depuis 2015 pile devant les accès principaux, ou la nouvelle terrasse couverte d’une célèbre chaîne de cafés qui accapare intégralement le dernier trottoir disponible.
Plutôt que de séparer les flux entrants et sortants par des passerelles au risque de briser l’esthétique de la grande halle héritée de Hittorff, et d’allonger les temps d’accès aux trains, une ouverture à 360° de la gare favoriserait la porosité avec la ville et simplifierait grandement les accès aux quais. Il serait par exemple bienvenu de créer un cheminement à l’air libre agréable pour rejoindre la ligne 2 du métro, et de requalifier les espaces en voirie tout autour de la gare, en commençant par dédier le Faubourg St Denis aux piétons, vélos et bus.
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