Ce jeudi 20 février 2020 s’ouvrent à Bruxelles les négociations sur la préparation du futur budget 2021-2027 de l’Union européenne. Occasion de publier un article initialement rédigé le 19 mai 2014 lors du cycle budgétaire 2014-2020, car les réflexions soulevées demeurent en tout point valables 6 ans après…

« Dis moi d’où provient ton budget, je te dirai quelles seront tes marges de manœuvre »

Le vote du budget d’une institution publique est le principal moyen d’action dont dispose une instance politique désirant agir pour influer sur le réel. Espérer rendre l’Europe plus forte et plus solidaire suppose donc de donner à l’Union européenne (UE) des leviers d’action politique sur l’intégration économique et sociale de ses habitants.

L’UE dispose certes d’un budget attitré et relativement conséquent (148 milliards d’Euros en 2019), mais cela reste très modeste – voire insuffisant – par rapport aux budgets des États membres (< 1% du PIB) et comparativement à d’autres budgets fédéraux comme celui des États-Unis.

Pire, malgré les réformes offertes par les tratiés successifs, l’UE ne dispose toujours pas de la possibilité de fixer ses propres priorités et de décider librement de ses dépenses, puisque celles-ci sont cadrées de manière pluriannuelle par les États eux-mêmes au travers du Cadre financier pluriannuel (CFP), même si en apparence et dans l’exécution annuelle du budget, le Parlement européen dispose d’un pouvoir croissant pour négocier budget proposé par la Commission et le Conseil européen. Or quoi de plus normal que les dépenses, donc les priorités d’action, soient définies par les chefs d’États, puisque ce sont ces mêmes États qui apportent, au travers de dotation, l’essentiel des recettes de l’Union européenne[1]

Face à la multiplicité et à l’ampleur des défis que rencontre l’UE, dans un contexte de défiance (Brexit) et d’ambitions climatiques fortes (Green Deal), le moment serait idéal pour changer de logique et passer à une nouvelle étape d’intégration par une fiscalité commune.

La création d’une fiscalité européenne serait en effet la meilleure façon de faire coïncider les volontés et les actes, et de rendre plus cohérente et ambitieuse l’action en faveur d’un développement plus durable du continent européen, à savoir : apporter un bien être accru de ses citoyens, tout en rendant les modes de vie et de production compatibles avec les impératifs de diminution de l’emprunte énergétique et climatique de l’humanité.

Pour cela, cet article appelle à créer deux taxes reposant intégralement sur les flux physiques. Ces taxes viseraient à réguler mécaniquement les dérives de nos économies par rapport aux objectifs rappelés plus haut, en ciblant :

  1. La mise en concurrence exacerbée des lieux de production, et donc des travailleurs, dans le seul but de baisser les coûts directs pour le consommateur final, alors même que cela entretient un dumping social générateur de chômage de masse et d’inégalités.
  2. La croissance vertigineuse des flux de marchandises et de capitaux, qui génèrent des consommations énergétiques insoutenables, puise à grande vitesse dans les ressources planétaires et cause des dégâts irréparables à nos écosystèmes.

Une taxe PROXIMITÉ pour réguler les flux de marchandises

Pour réduire la compétition exacerbée entre les lieux de production, il s’agirait de compenser artificiellement l’atténuation des barrières physiques qui, auparavant, entravaient naturellement la mise en concurrence mondiale des facteurs de production.

Pour y parvenir, loin de prôner la réintroduction de taxes aux frontières nationales voire aux frontières de l’UE, il pourrait s’agir au contraire d’imaginer une taxe universelle basée sur les flux de marchandises. Cet outil de « démondialisation” favoriserait la (re)localisation progressive des activités économiques productives au plus près des consommateurs, qui sont également des travailleurs souvent en recherche de travail, sans cependant renforcer quelque frontières institutionnelles pouvant laisser craindre un retour au protectionnisme unilatéral.

L’instauration d’une taxe dite “Proximité” pourrait donc consister à renchérir le déplacement de marchandises en reposant le montant sur deux variables factuelles, objectives et on ne peut plus universelles :

  • la portée des échanges entre l’origine et la destination (lieux de production et de consommation), exprimée en km à vol d’oiseau.
  • le poids de ces échanges : l’indicateur pourrait simplement être la masse déplacée, exprimée en tonnes s’agissant d’une marchandise.
Montant de la taxe PROXIMITÉ [€] = T PROX [€ / t / km] * Distance [km] * Masse [t]

Pour estimer le taux que pourrait avoir cette “taxe proximité”, nous pourrions imaginer que cette taxe devrait pouvoir compenser dès cette année l’intégralité des dotations des États allouées au budget de l’UE, à savoir 97,5 milliards d’euros (MM€) en 2013 (148 milliards d’Euros en 2019)

Pour fixer les ordres de grandeur, partons du cas de la France qui a alloué[1] en 2013 une dotation de 13,2 MM€ à l’UE. Sachant que l’ensemble des flux de marchandises sur le territoire a représenté, la même année, 191,9 milliards de t*km d’après le Compte transport de la Nation[2], nous aurions l’équivalent d’un taux d’imposition de : T PROX = 0,068 € / t / km

En guise d’illustration, un camion de 33 t circulant de Barcelone à Paris, villes distantes de 832 km à vol d’oiseau[3], devrait ainsi se fendre d’une taxe de 1 887 € pour transporter des tomates espagnoles à Rungis. Ce montant est à comparer au prix du péage autoroutier[4] de 185,20 € pour un PL à 3 essieux entre Paris et Montpellier, ou au coût du carburant de 375€, avec une consommation de 30L/100 km, soit 250L de diesel à 1,5 €/L.

Cette nouvelle taxe s’assimilerait donc à une multiplication par 10 du prix du péage, ou par 5 du prix du carburant. De quoi rendre perceptible un “coût” du transport aujourd’hui bien trop faible. Cela ne représenterait un surcoût pour le consommateur final que de 0,057 € / kg, soit moins de 6 c€ par kg acheté. De plus, ces recettes n’iraient pas au gestionnaire d’infrastructure, comme les péages, mais seraient mobilisées pour développer des solutions globales alternatives à l’ultra-mobilité :

  • aides à l’agriculture de proximité qualitative et génératrice d’emplois non-délocalisables
  • financement de projets innovants (recherche, enseignement supérieur, brevets)
  • renforcement de l’industrie pour générer de l’emploi dans tous les territoires
  • incitation et accompagnement à la mobilité des travailleurs dans l’UE…

Une taxe EFFICACITÉ pour réguler la consommation d’énergie

Une seconde taxe, basée quant à elle sur l’efficacité énergétique de tous les processus économiques, inciterait à imaginer une organisation de la production et des échanges plus performante et efficiente, bien mieux que ne le permet “le jeu du marché et de la concurrence”, alpha et oméga des politiques actuellement suivies par l’UE, puisque ses textes fondateurs sont bâtis sur le principe des bienfaits du marché “libre et non faussé”.

La taxe dite “efficacité” s’appuierait sur l’extraction et la consommation d’énergie primaire, en permettant de donner un prix aux ressources finies de la planète et de rationaliser leur usage. Proportionnelle à la quantité d’énergie primaire consommée dans le processus (et non à la seule émission de CO2 comme la taxe carbone), cette taxe « efficacité » permettrait de se substituer, de fait, à l’imposition de la valeur ajoutée qui pénalise l’emploi sans se soucier de la raréfaction des ressources naturelles épuisables. Simultanément tomberait ainsi la suprématie du PIB, actuelle pierre angulaire du calcul de la performance économique mondiale, alors même que cet indicateur nie l’existence du rôle primordial de la consommation de ressources non renouvelables (au premier rang desquelles les énergies fossiles) et le nécessaire essor d’emplois « durables » dans la production de valeur et de richesse.

Montant de la taxe EFFICACITÉ = T EFF [€ / kWh] * énergie primaire [kWh]

Avec un tel mode de calcul, cette taxe fait en apparence abstraction de l’aspect « émissions de gaz à effet de serre », mais permet en réalité de couvrir à la fois les questions de rendement énergétique et la recherche d’artifices destinés à pallier l’émission de polluants liés à la combustion d’énergies fossiles. De plus, la quantité d’énergie primaire est aisément quantifiable, donnée objective et donc indiscutable, contrairement aux « tonnes équivalents Carbone ou CO2« , peu parlants pour tout un chacun, et peu aisé à évaluer. Enfin et surtout, cela rappelle que plus qu’un débat sans fin sur les sources de production de l’électricité, c’est sur le niveau de consommation énergétique que l’effort doit porter !

Remplaçant avantageusement les taxes carbone et autres contributions climat-énergie évoquées mais rarement ou timidement appliquées par les États membres de l’UE, cette “taxe efficacité” se substituerait également à terme à la TVA et à toutes les taxes éparses, inefficaces et improductives sur le pétrole et l’énergie, puisqu’avec une assiette et un taux unique, les gouvernants du monde seraient poussés à s’entendre sur les objectifs de l’humanité.

On pourrait imaginer que le taux de cette taxe soit fixé annuellement par un Conseil des Nations unies représentatif de tous les continents dans le but de faire converger l’humanité dans l’atteinte des objectifs de limiter le réchauffement climatique mondial à 1,5°C notamment. Des taux variables cumulatifs pourraient venir alimenter des fonds spécifiques pour permettre à chaque continent de se fixer des ambitions et de décider de ses propres objectifs spécifiques pour y consacrer son effort et mobiliser ses moyens.

Les recettes de cette taxe ne viseraient pas à compenser des sommes déjà engagées, mais au contraire, à générer une ressource nouvelle à même d’impliquer tous les acteurs dans la décarbonation de l’économie et atteindre les différents objectifs de développement du PNUD qui ont remplacé les objectifs du millénaire : agriculture, éducation, migrations, désastres naturels, développement…


[1] Contribution de la France au budget de l’UE : http://www.touteleurope.eu/actualite/part-allouee-a-la-france-dans-le-budget-europeen-2013.html

[2] Comptes transport de la Nation 2013, CGEDD, juillet 2014 : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/publications/p/references/comptes-transports-2013.html

[3] Distance à vol d’oiseau : http://fr.distance24.org/Barcelone

[4] Tarif des péages autoroutiers en France : http://www.autoroutes.fr/fr/les-principaux-tarifs-2014.htm


[1] Répartition des recettes de l’UE : http://www.touteleurope.eu/actualite/les-recettes-de-lue-en-2013.html

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