« À l’horizon 2030-2050, quelles devraient être les mobilités de demain sur les autoroutes, le boulevard périphérique et les principales voies de circulation du Grand Paris ? »
Contribution à la consultation sur les « Routes du Futur » organisée par le Forum métropolitain du Grand Paris
http://www.routesdufutur-grandparis.fr/
1. Constats et enjeux
Aujourd’hui, les voies rapides du Grand Paris demeurent des axes routiers strictement réservés aux véhicules motorisés individuels, voitures ou motos. Cela explique que, malgré les injonctions à privilégier les transports en commun et les modes actifs, la majorité des automobilistes actuels ne dispose d’aucune alternative crédible leur offrant des temps de parcours de porte à porte comparables.
Or pour passer d’une situation de domination automobile à une mobilité plurielle et sobre, en particulier dans les territoires périurbains, on ne pourra s’offrir le luxe de perpétuer la stratégie du « toujours plus » reposant sur le principe « développer du neuf pour désaturer l’existant », car :
- en termes de moyens : la construction d’infrastructures tous azimuts (y compris de métro ou de RER souterrains) mobilise beaucoup de ressources, d’énergie et de temps, ce qui apparaît largement incompatible avec l’urgence et l’ampleur de la transition à mettre en œuvre.
- en termes de résultats : plutôt qu’un report modal lié à une diminution massive de l’usage automobile, on observe généralement une réorganisation intramodale des flux, voire un « effet rebond » (c’est-à-dire une hausse de trafic) par surcroît de capacités nouvelles.
Par conséquent, il apparaît au contraire urgent de « faire plus avec moins ». Un tel revirement implique notamment :
- de repenser les infrastructures autoroutières dont nous héritons et qui sont devenues inadaptées aux enjeux de l’époque. Il faudra pour cela faire preuve d’ingéniosité pour parvenir à les transformer et les adapter pour valoriser leurs atouts tout en faisant évoluer leurs usages ;
- de réguler les flux autrement que par l’engorgement chronique qui pénalise tous les usagers sans discernement et ne constitue pas un « signal temps » suffisamment incitatif au moment du choix du mode de transport et du lieux de résidence.
Se contenter de supprimer des voies de circulation ou de baisser la vitesse limite autorisée sans avoir au préalable élaboré un système de mobilité fiable alternatif à la voiture et aux deux-roues motorisés constituerait une stratégie inefficace. A défaut d’évaporation, cela induirait surtout une gêne accrue pour ceux qui se trouvent déjà les plus vulnérables.
En revanche, modifier le partage physique de la voirie pour favoriser une cohabitation multimodale constituerait un levier d’action puissant pour transformer en profondeur l’équilibre modal des mobilités urbaines et périurbaines. Réaffecter progressivement les emprises routières en faveur : des mobilités collectives rapides (métro, tram, bus ou covoiturage) pour les déplacements métropolitains, et des mobilités actives (vélo, marche) pour les rabattements locaux, ne coûterait pas tant mais changerait tout !
2. Stratégie 2024 : mettre en place un réseau de bus express
De tels services de transport capacitaires, souples et économes, correspondent au choix que font la plupart des grandes métropoles mondiales soumises à une mobilité croissante et à l’impérieuse nécessité de maîtriser leur efficacité énergétique, leur pollution atmosphérique, leur budget d’investissement.
Un des meilleurs modèles du genre est le système « Metrobüs » d’Istanbul, sur lequel circulent jusqu’à 4 bus par minute en pointe et voyagent jusqu’à 800 000 personnes par jour (source : IETT).
Pour le Grand Paris, la première priorité consisterait donc à mettre en place un réseau de bus express rapide, fiable et capacitaire, permettant d’offrir un maillage métropolitain et régional aussi efficace et surtout plus fiable que la voiture, a très court terme et avec peu de travaux. Pour l’essentiel, il suffirait de dédier deux voies sur chacune des autoroutes radiales et de rocade et d’aménager des stations au niveau des ponts franchissant les voies rapides radiales, et aux principales portes de Paris sur le Périphérique. Ainsi reconverties, ces voies pensées au 20e siècle pour servir l’automobile constitueraient instantanément la plus efficace des alternatives à la voiture au 21e.
La baisse des flux permise par la mise en place d’un réseau de bus express dans le Grand Paris pourrait alors se traduire par une diminution de la vitesse limite et de la largeur des voies laissées à la circulation générale. Cela permettrait de libérer des emprises pour réaliser un réseau express vélos à l’échelle du Grand Paris, sur l’ensemble des voiries déchargées d’une part considérable de trafic, et pourquoi pas aussi le long des voies rapides ainsi reconverties ! Il s’agirait cependant de veiller au confort sonore et olfactif des cyclistes en prévoyant des séparations végétalisées entre la voirie et les voies cyclables.
3. Stratégie 2030 : réorienter le Grand Paris Express vers une réutilisation de l’existant
Un tel réseau de bus express pourrait constituer l’armature pour une offre de transport fonctionnant enfin 24h/24 comme à Londres ou à Berlin, car ne serait pas soumis aux mêmes contraintes de maintenance nocturne que les réseaux ferrés (métro et RER). Nous pourrions par exemple imaginer des lignes très performantes pour mailler la desserte des plateformes aéroportuaires de Roissy-CDG et d’Orly, bien mieux que ne permettra le ruineux projet de CDG Express dont les travaux s’apprêtent pourtant à commencer.
Ces bus express faciliteraient par ailleurs l’accès aux pôles d’emploi du Grand Paris, en particulier sur des liaisons où le réseau ferré se trouve moins compétitif voire totalement déclassé face à la voiture, et sur lesquelles le projet « Grand Paris Express » se fera attendre des décennies encore ! En effet, tel qu’il a été conçu, le Grand Paris Express n’apparaît absolument incompatible avec les enjeux de la COP21.
Pendant que l’on creuse un réseau totalement neuf de 200 km de tunnels, les réseaux existants sont toujours plus dégradés, engorgés, exaspérants alors qu’ils auraient tant besoin d’être régénérés et restructurés. Le projet de GPE consomme nos précieuses ressources (énergétiques, humaines, financières, et notre temps !) alors que l’action des pouvoirs publics devrait être orientée vers une priorité unique, à savoir mettre en œuvre en 10 ans une stratégie de report modal basée sur l’accès généralisé à des mobilités alternatives à la voiture et sur un développement du territoire mieux régulé, cohérent et soutenable.
En guise d’illustration, l’actuel projet de ligne 14 Sud du métro consiste à créer 14 km de tunnels profonds (50 mètres par endroits) entre Olympiades et l’aéroport d’Orly via le Val de Marne et le MIN Rungis. Or le tracé retenu apparaît sensiblement parallèle à l’autoroute A6 existante.
Une alternative rationnelle aurait pu consister à établir les voies du métro en surface, en lui consacrant une petite partie des emprises disponibles (8 à 10 voies routières) et à créer des stations en site central accessibles par des passerelles.
Une telle réorientation du projet de ligne 14 Sud aurait été bénéfique et souhaitable à tous points de vue, puisque :
- plus rapide à réaliser : par la simple réaffectation de deux voies routières existantes ;
- plus économique : l’essentiel des coûts d’un métro découlant des travaux de génie civil (tunnels et stations), l’implantation du métro en surface sur une emprise autoroutière préexistante permet de valoriser l’investissement déjà consenti, et d’accroître de fait son utilité socio-économique ;
- plus résilient : contribuant à engager la transformation des autoroutes urbaines inadaptées en boulevards métropolitains apaisés, par la baisse des vitesses et surtout la diminution du trafic permis par report modal ;
- plus pédagogique : se faire dépasser par des rames de métro en période de congestion aurait un caractère pédagogique sur les automobilistes, forcément incitatif au report modal.
D’excellents exemples ont d’ailleurs été réalisés ainsi par le passé, notamment en région parisienne. Le plus emblématique le passage de la ligne 1 du métro sur le Pont de Neuilly, ce qui a permis de réaliser le prolongement jusqu’à la Défense de manière plus économique et plus rqpide aque le projet initial de tunnel sous la Seine.
La ligne 8 à Créteil circule également à l’air libre, grâce à une insertion au centre de la RD1 du Val de Marne.
4. Attentes vis-à-vis de la Consultation internationale
La consultation sur l’avenir du réseau routier magistral du Grand Paris constitue donc une rare occasion à saisir pour s’interroger collectivement sur la stratégie et les priorités à engager pour préparer le futur.
Il nous reste à peine 5 années pour préparer la région parisienne à l’accueil des JO de l’été 2024, pour décider d’une stratégie qui nous permettra d’être véritablement en phase avec les engagements de l’Accord de Paris, pour engager les investissements véritablement compatibles avec la conversion énergétique des mobilités et de l’aménagement territorial.
Sans revirement rapide de la stratégie d’aménagement suivie par le Grand Paris, les projets engagés nous éloigneront définitivement et assurément de la résolution de tous ces enjeux historiques.
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